Política del Psicoanálisis |
El conflicto JAM-SPP
Le ventre de "une"
Fureurs lacaniennes
vingt ans après la mort du psychanalyste
LE MONDE | 07.09.01 | 13h31 | chronique
Jacques lacan, rebelle freudien et penseur subversif - mort il y a tout juste vingt ans, le 9 septembre 1981 -, a placé sa vie sous le signe de la démesure. Art de la provocation, charisme légendaire et verve sans pareille, ce psychanalyste hors norme avait tout de l'agitateur accompli. A ses héritiers, il a légué une théorie dont la charge explosive, comme toute pensée révolutionnaire, semble ne pouvoir être réactivée, encore et toujours, que sur le mode de la crise spectaculaire ou tragi-comique. Voilà ce qu'a parfaitement saisi Jacques-Alain Miller, ex-mao et gendre de Lacan, si l'on en juge par le séisme insolite qu'il vient de provoquer dans le petit monde de la psychanalyse. Choisi par Lacan pour éditer les fameux Séminaires, Jacques-Alain Miller, dit "JAM", est le fondateur de l'Ecole de la cause freudienne. Malgré les défections, les épurations, cet esprit agile et impulsif garde une certaine influence, en France comme à l'étranger ; mais il est aussi l'homme le plus jalousé et le plus exécré d'un milieu analytique couramment "travaillé par la haine", selon le mot du psychanalyste Jacques Hassoun. D'ordinaire plutôt discret - Le Canard enchaîné a soupçonné un subtil partage des rôles avec son frère, le très médiatique Gérard Miller -, JAM vient pourtant de sortir de sa réserve, à l'occasion d'un incident apparemment mineur : mis en cause - notamment sur la question des "analystes sauvages" - par la Revue française de psychanalyse(affiliée à l'Association internationale de psychanalyse, qui a exclu Lacan en 1963), il s'est vu refuser tout droit de réponse.
Dès lors, cet ancien militant de la Gauche prolétarienne a décidé "d'aller sur la place publique à la rencontre des passants", en adressant à "l'opinion éclairée"une série de lettres ouvertes dont la première est désormais "disponible dans les meilleures librairies".
Or ce document d'une quinzaine de pages, mi-tract mi-samizdat, ne laisse pas d'intriguer : nourri du "désir d'en découdre", il fait entendre un style de lacanien sans-culotte ("Lecteur de cette lettre, si tu doutes de ma véracité, vas-y voir par toi-même") pour mobiliser le tiers-état analytique contre le "sempiternel crachat" de ses ennemis, et brandir "le glaive vengeur amoureux du fourreau" à la face des "chics inquisiteurs". Nulle révélation, nulle menace précise, ici. Seulement le récit enflammé d'une crise salutaire, d'une métamorphose : "Voici que je renais, autre que je n'étais. Le baiser d'une princesse, d'un crapaud fit un Prince charmant. Le recommandé de M. Denis a fait de Jacques-Alain le taciturne Jacques-Alain le furieux, qui donnera des coups d'estoc et de taille jusqu'à ce qu'on lui rende raison, et à son maître Lacan."
Violence lexicale, imaginaire guerrier : en psychanalyse comme ailleurs (plus qu'ailleurs ?), la révolution ne saurait être un dîner de gala. Mais, au-delà de ces formules quelque peu déroutantes, deux traits enracinent solidement le verbe emphatique de JAM dans une double tradition, maoïste et lacanienne : la passion de l'agit-prop, d'abord, car il annonce maintenant la création de sa propre Agence lacanienne de presse (ALP) ; l'humour, surtout, voulu ou inconscient, puisque la première dépêche de l'ALP s'énonce comme suit : "Paris, 5 septembre. Rectificatif. Contrairement à ce qu'annonce la dépêche précédente du 4 septembre (AFP), les Lettres à l'opinion éclairée, de J.A. Miller ne seront pas diffusées gratuitement en librairie, mais à prix coûtant" (4, 57 EURO , 30 F).
Jean Birnbaum