LE CHOIX DU SUJET EN PSYCHANALYSE

Eduardo Mahieu

DEPARTEMENT DE PSYCHANALYSE
UNIVERSITE PARIS VIII - SAINT DENIS 1997
 

A l'occasion d'un travail traitant du pousse-à-la-femme, il s'est posé à nous la question du choix du sujet. Dans ce contexte particulier, il s'est présenté à nous d'abord sous la forme de choix de la sexuation, ensuite comme le choix du sujet de la névrose ou le choix de forclusion.

C'est en particulier le mot "choix" qui nous a fortement interrogé. Ce mot, qui parcourt toute l'œuvre de Freud, dans des expressions telles que "choix d'objet", "choix de la maladie" ou le "choix de la névrose", est présent aussi chez Lacan, justement à propos du choix de la sexuation, mais aussi pour désigner le choix de la névrose.

C'est alors tout particulièrement vers les implications de ce mot que notre travail se tourne. Implications conceptuelles propres à la psychanalyse, comme le montrent les très divers paragraphes consacrés par Freud à ce problème, mais aussi implications philosophiques, dont tout un courant, l'existentialisme, s'en est servi pour traiter la destinée humaine, sa responsabilité et sa liberté. Implication anthropologique, dans le sens de conception de l'homme, de sa névrose (ou sa psychose), de sa liberté, et de sa causation. Finalement implications éthiques et idéologiques, qui ne sont pas sans conséquences dans la pratique quotidienne dans le champ de la santé mentale.

LE MOT CHOIX

Bloch et Wartburg font remonter le terme au XIIème siècle. Il aurait signifié "apercevoir" jusqu'à la fin du XVIème (ce sens persisterait jusqu'aujourd'hui en Suisse romande). Il dérive du mot gothique kausjan: "éprouver, goûter" et il aurait été introduit comme terme de la langue militaire.

Le dictionnaire Robert nous donne sa signification actuelle: "action de choisir, la décision par laquelle on donne la préférence à une chose, une possibilité en écartant les autres". Parmi les différents termes auxquels ce terme renvoie, sont cités option, adoption, sélection, décision, résolution, élection. L'accent est ainsi mis sur le sujet de l'action qui disposerait d'un éventail de choses à choisir. Ce dictionnaire n'oublie pas de citer la particularité psychanalytique du terme, dans l'expression qui nous occupe, choix de la névrose.

LE MOT EN PSYCHANALYSE

Pour Laplanche et Pontalis, dans l'article "choix de la névrose" de leur Vocabulaire, le problème qui est posé par l'expression "choix de la névrose" est au principe même d'une psychopathologie psychanalytique: "comment et pourquoi des processus généraux qui rendent compte de la formation de la névrose se spécifient-ils en des organisations névrotiques assez différenciées pour qu'une nosographie puisse être établie?".

Ces auteurs ne donnent aucune réponse au problème posé, mais ils signalent les rapports qu'entretient cette expression avec les notions de traumatisme, de fixation, de prédisposition, d'inégalité de développement entre la libido et le moi.

LES CONCEPTS FREUDIENS

Nous allons examiner ces rapports, à partir de l'ouvre de Freud qui n'a pas cessé de poser le problème dès la période des Etudes sur l'hystérie, jusqu'aux derniers travaux, comme par exemple L'analyse avec fin et l'analyse sans fin. L'Index Thématique qu'a établit Alain Delrieu montre à ce item, pas moins d'une vingtaine d'entrées, montrant les constantes élaborations de Freud sur la question. De même, que ce soit dans la correspondance avec Jung ou avec Fliess, le problème surgit à plusieurs reprises.

Freud met en balance dans cette question les facteurs internes face aux facteurs externes, un déterminisme absolu face à un "choix" dont il n'arrive pas à le définir complètement. Laplanche et Pontalis rejettent d'emblée qu'on puisse se référer à une conception "intellectualiste qui supposerait qu'entre différents possibles également présents l'un d'eux est élu; il en est d'ailleurs de même pour la notion de choix d'objet". Cependant ils remarquent "qu'il n'est pas indifférent que, dans une conception qui se réclame d'un déterminisme absolu, apparaisse ce terme qui suggère qu'un acte du sujet est nécessaire pour que les différents facteurs historiques et constitutionnels mis en évidence par la psychanalyse prennent leur sens et leur valeur motivante".

CHOIX ET CAUSALITE

Nous voyons bien la question posé par l'acte du sujet, sa causation, sa liberté ou au contraire sa détermination. Jacques-Alain Miller, dans son séminaire Cause et consentement, s'interroge à propos de la décision du désir: "qu'est-ce que ça peut être bien que ça? En quoi cette décision peut-elle être une initiative dès lors que le désir est venu à être formulé par le même Lacan comme un effet et même comme un effet qui dépend d'une cause, c'est à dire comme inséré dans le fils de la causalité? Autrement dit, comment est-ce seulement compatible que voisinent, pour nous, dans la pratique de l'analyse, la notion d'un déterminisme du sujet - notion qui est de façon massive, accentuée par Lacan quand il formule que le sujet est l'effet du signifiant et encore que l'objet (a) est la cause du désir -, comment est-ce compatible [...] avec l'appel à la valeur de l'initiative et même à l'exigence de la décision?".

Les questions posées ici par Miller, sont les mêmes que celles introduites par l'utilisation du terme "choix", qui suppose un sujet libre, et la causalité déterministe, qui était celle de Freud, comme il le fait remarquer dans ce séminaire..

Cependant, Lacan lui-même lors de son dialogue avec Henri Ey sur la causalité psychique à Bonneval, renvoyait, dans cette phrase qualifié de mystérieuse par Miller, la problématique de la causalité dans la folie à une "insondable décision de l'être".

CHOIX ET LIBERTE

De ce dialogue avec Ey il ressortit que les enjeux tournent entiers autour d'une théorie de la liberté, comme il est bien posé la question par le terme "choix". D'ailleurs c'était la phrase qu'il envoyait à son ami: "L'être de l'homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l'être de l'homme s'il ne portait en lui la folie comme limite de la liberté". Chose curieuse, trente ans après, Ey recueille cette phrase "dans un rare mais commun accord [avec] J. Lacan" (Des Idées de Jackson à un modèle organo-dynamique en Psychiatrie, Privat, 1995), pour soutenir son Organo-dynamisme, qui nécessite d'une théorie de la liberté toute particulière pour se justifier, comme le signale Lantéri-Laura (La Conscience selon Ey).

CHOIX ET PHILOSOPHIE

Ainsi donc, le terme choix engage avec lui toute une tradition de réflexions philosophiques: c'est la liberté du sujet qui est en question. Pour Aristote, dans Ethique à Nicomaque, le choix ou choix délibéré (proairésis), est un acte volontaire spontané, du désir et du souhait. Pour Descartes, détermination en connaissance de cause: seul le choix éclairé est la vraie expression de la liberté. Dans l'Ethique, Spinoza signale que l'idée de choix désigne une illusion de l'imagination. Le courant existentialiste le considère comme le pouvoir de décision coextensif à la conscience. Finalement Marx et Engels et le matérialisme dialectique, s'occupent de la question, pour prendre le même parti que Spinoza (Dictionnaire de Philosophie, Ed. Armand Colin, 1995).

CHOIX ET DAS DING

Mais pour Lacan, en psychanalyse cette question du choix de la névrose s'articule avec La Chose: "C'est par rapport à ce Das Ding originel que se fait la première orientation, le premier choix, la première assise de l'orientation subjective, que nous appellerons à l'occasion Neurosenwhal, le choix de la névrose" (Séminaire VII, p.68). C'est aussi par rapport à ce Das Ding originel que la psychose prend position. Cependant, rien ne permet de conclure que Lacan prend ici le parti de Descartes contre celui de Spinoza. Comme le signale ailleurs Miller "Le choix de la psychose - je ne dis pas qui le fait - est le choix à vrai dire impensable d'un sujet qui fait objection au manque-à-être qui le constitue dans le langage" (Produire le Sujet, Actes de l'E.C.F.). Qui fait le choix, donc?

LES QUESTIONS DU CHOIX

Nous voyons alors se former un nœud autour de la question du choix du sujet. Autour d'elle convergent des aspects proprement psychanalytiques, en particulier les rapports qu'elle entretient avec les notions de fixation, régression, choix du mécanisme de défense, prédisposition et en dernière instance l'étiologie, la causalité des névroses et des psychoses. Ceci implique nécessairement une conceptualisation de la liberté ou de la détermination du sujet qui est censé choisir, sujet cause ou effet? Finalement ceci amène des considérations éthiques propres à orienter la pratique, comme le montre suffisamment le fait que trois auteurs aussi éloignés dans le temps aient traité du problème dans des ouvrages spécifiquement consacrés à l'éthique: Aristote, Spinoza et Lacan.

Nous pensons que donner une interprétation "libérale" de la question conduit à réveiller "le petit homme qui est dans la tête de l'homme" contre lequel s'insurgeait Lacan pour contester toute une psychogenèse implicite pour lui dans les dogmes mécanicistes de Clérambault, mais aussi dans les thèses des psychistes, et jusqu'à l'organodynamisme d'Henri Ey. C'est à partir de cette prise de position que nous contons développer notre travail de thèse.

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