Ça de
Kant, cas de Sade
Erotologie
analytique III
Jean
Allouch
Il faudra bien que le psychanalyste paye le prix de sa tentative inouïe détablir son camp ailleurs que chez Sade. Ce prix a un nom : le fantasme. Lévénement Sade exigeait quil perde sa prétendue suprématie, pas seulement en psychanalyse. Lacan sy employait. Mais plutôt discrètement, au point den venir à titrer son étude quasi à rebours de ce quelle indiquait.
De là les malentendus dont «Kant avec Sade» na cessé dêtre lobjet. Il est vrai que, jamais publiée en son lieu, la lettre elle-même de cet écrit était devenue pratiquement inaccessible, tant devaient varier ses versions successives (1963, 1966, et encore après).
Kant nest avec Sade que le temps de sapercevoir que, «plus honnête», la maxime sadienne (elle est de la plume de Lacan) écarte la réciprocité. Avec linstrument Sade, pèse plus quun soupçon sur Kant.
Quadvient-il, ensuite, à ce Sade sans Kant ? En remarquant que la production de luvre sadienne fut rendue possible par le fait que, dans sa vie, Sade était passé au-delà des limites constitutives de son fantasme, Lacan entend souligner que cette vie était réglée par la rigueur de sa pensée. Ici, silencieusement, Lacan flirte avec la lecture souverainiste de Sade proposée par Bataille, puis Blanchot mais pour bientôt sen écarter.
Assimiler vie et uvre de Sade, telle fut lopération constitutive du sadisme. Il nest remarquablement pas question du sadisme dans «Kant avec Sade». Ni de perversion.
Lue par Lacan, luvre de Sade se laisse situer dans «les portants de léthique chrétienne». Cependant, pour être passée au-delà, sa vie nen rencontre pas moins une autre limite. Pas «assez voisin de sa propre méchanceté pour y rencontrer son prochain», Sade rejette sur lAutre la douleur dexister. Ce qui implique un Autre existant, non barré. Sade a affaire à une loi («pathologique» au sens de Kant), dans la volonté de jouissance de la Présidente de Montreuil, et non pas au désir. À la mode sadienne, Lacan écrit : «Vºée [lire : violée] et cousue, la mère reste interdite ». Cest : «Sade, encore un effort si vous voulez être sadien.»
Il nest guère question, en tout cela, dun «traité vraiment du désir» ni donc «de ce qui manque à Sade». Le dit chantre du manque, préfacier écarté de La philosophie dans le boudoir, sinterdisait, en 1963, décrire ce qui aurait été un traité du désir sadien. Pas absolument toutefois.
Jean Allouch. Psychanalyste, vit à Paris. Il a publié notamment Marguerite, l'aimé de Lacan et Erotique du deuil au temps de la mort seche (Epel)